11 juillet 2025 – Les soussignés sont consternés par la persécution du personnel du magazine humoristique LeMan, à Istanbul, ces derniers jours, suite à la publication le 26 juin d’une caricature de Doğan Pehlevan, dont le contenu, la signification et l’intention ont été déformés par des fonctionnaires du gouvernement turc. Cela a conduit à une couverture médiatique inexacte et à une indignation publique injustifiée et, en fin de compte, à l’emprisonnement de quatre personnes sur la base de multiples accusations, à la recherche de deux autres collègues par la police et à l’ouverture d’une enquête sur l’ensemble de l’entité pour acceptation d’une influence étrangère.
La semaine du 30 juin a été marquée par une vague d’arrestations de personnalités de l’opposition qui rappelle la répression qui a suivi la tentative de coup d’État de 2016. L’ancien maire d’Izmir, Tunç Soyer, et plus de 150 responsables et membres du Parti républicain rejoignent désormais l’ancien maire d’Istanbul et candidat à la présidence Ekrem İmamoğlu en détention, en plus de dizaines d’autres personnes détenues en 2025.
Ce qui se passe chez LeMan n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste, mais il ne faut pas le considérer comme un incident mineur. Il est évident que ce qui a commencé comme une poursuite exagérée et malhonnête a maintenant servi de prétexte à un effort concerté pour éliminer complètement le magazine.
Nous tenons à préciser ce qui suit :
- Dessin humoristique de Doğan Pehlivan paru dans le magazine LeMan le 26/06/25 et décrit à tort par les procureurs comme représentant le prophète Mahomet.
- La caricature du 26 juin ne représente absolument pas le prophète Mahomet, ce qui devrait être évident pour toute personne désireuse de l’examiner sans passion. Dans le contexte de la mort aveugle de civils due à l’action militaire au Moyen-Orient, l’œuvre représente les esprits angéliques de deux hommes décédés, un musulman nommé « Muhammad » (comme il y en a des millions) et un juif nommé « Musa », c’est-à-dire Moïse. Les deux se saluent en montant au ciel, tandis que les bombes continuent de tomber à l’arrière-plan. Il s’agit d’une exhortation à la paix humaine, douce-amère et impartiale.
- Les interventions du gouverneur d’Istanbul, des ministres de la justice et de l’intérieur, et du président de la République turque qualifiant la caricature de « provocation ignoble », de « manque de respect envers les croyances » ou autres, équivalant à un crime contre les sensibilités religieuses, sont donc erronées.
- Il s’ensuit que les mandats d’arrêt émis à l’encontre de six personnes associées au magazine LeMan étaient sans fondement et devraient être annulés.
- Les quatre hommes détenus – Pehlevan, ainsi que le rédacteur en chef Zafer Aknar, le graphiste Cebrail Okçu et le directeur de la rédaction Ali Yavuz – doivent être libérés immédiatement et les charges d’« incitation à la haine » qui pèsent sur eux doivent être abandonnées.
- La vidéo de leur arrestation le 30 juin, diffusée par les canaux officiels sur les médias sociaux, représentait une démonstration dégoûtante d’autoritarisme, trahissant la véritable intention de cette ligne de conduite : intimider et réprimer les voix au sein de la Turquie qui s’opposent à l’establishment.
- Toute poursuite du fondateur Tuncay Akgün et du rédacteur en chef Askan Ozdemi doit cesser.
- Les nouvelles accusations lancées le 2 juillet, selon lesquelles LeMan utiliserait des fonds étrangers pour alimenter le mécontentement en Turquie, sont absurdes à première vue. Il n’y a pas eu de troubles notables à Istanbul pendant les quatre jours qui ont suivi la publication de la caricature prétendument offensante, jusqu’à ce que des ministres et des procureurs fassent des déclarations non fondées sur son contenu. Au contraire, c’est le gouvernement turc qui provoque des manifestations de masse et des troubles civils en emprisonnant ses opposants politiques.
- Ceux qui, dans les rues d’Istanbul, ont cherché à se venger au cours des dernières semaines ont été manipulés par des opportunistes politiques. Ils devraient rentrer chez eux en paix, convaincus qu’aucun commentaire n’a été fait au sujet d’une figure religieuse et qu’il n’y a donc aucune raison de s’offusquer.
- Enfin, en ce qui concerne la question de la diffamation du président, M. Erdoğan a une longue et riche histoire de poursuites judiciaires contre les caricaturistes et les satiristes, et on lui a déjà dit que de telles représentations sont inhérentes à la fonction. S’il est trop sensible pour supporter les caricatures, il est plus que bienvenu de changer de carrière et de quitter la vie publique.
Cette affaire n’est que le dernier chapitre désolant de la dégradation de la riche tradition de la caricature en Turquie. Nous demandons que ceux qui continuent soient laissés libres de poursuivre leur travail sans être inquiétés.
Signataires:
- Association of Canadian Cartoonists / L’Association de caricaturistes Canadien
- Daryl Cagle – Cagle Cartoons, Inc. (Newspaper Syndicate)
- Cartoon Movement
- Cartooning for Peace
- Cartoonists Rights
- Columbia Global Freedom of Expression
- European Cartoon Award
- Forum for Humour and the Law (ForHum)
- Freedom Cartoonists Foundation
- Caoilfhionn Gallagher KC Strategy
- Professional Cartoonists’ Organisation (PCO)
- ToonsMag
